Quel projet d'équipe face aux IA génératives ?
Après une phase de diffusion progressive depuis la fin de l'année 2022, ChatGPT (et ses alternatives) s'est désormais imposé comme un outil complémentaire entre les mains de nos élèves. Comme à chaque disruption technologique, d'aucuns ont prophétisé la fin de l'école telle qu'elle existerait depuis des siècles, comme si l'enseignement était resté figé dans un modèle immuable et cristallisé derrière un vernis d'encre asséchée.
Les professionnels de l'éducation savent évidement que cette vision est erronée. Depuis plusieurs mois, le nom "ChatGPT" a régulièrement résonné en salle des profs, d'abord de manière informelle entre collègues un peu geeks autour de la machine à café, puis de façon de plus en plus récurrente, avec de plus en plus de collègues impliqués, oscillant entre enthousiasme et inquiétude. Certains chefs d'établissement ont d'ores et déjà pris l'initiative d'ajouter ce sujet à l'ordre du jour des réunions pédagogiques de fin d'année scolaire tandis que d'autres ont préféré attendre la rentrée scolaire et d'éventuelles consignes ministérielles qui se font attendre. Quoiqu'il en soit, les équipes pédagogiques ne pourront pas faire l'économie d'une réflexion collective sur cet éléphant qui se promène désormais dans les salles de classe.
Il appartiendra évidemment à chaque établissement d'établir sa politique autour de ses questions en adéquation avec l'âge des élèves, le contexte d'enseignement, le projet pédagogique en lien avec le numérique, etc. Les questions suivantes pourraient néanmoins constituer quelques pistes pour organiser les réunions et alimenter les discussions :
Comment souhaitons-nous que nos élèves utilisent l'intelligence artificielle générative à l'école ?
Si l'utilisation de ces outils en dehors de l'établissement ne peut pas être régulée, leur usage est-il autorisé en classe ? De manière autonome ou sous la supervision d'un enseignant ?
Officiellement, cela n'est pas autorisé en raison du règlement général sur la protection des données (RGPD). Dans la réalité, le conseil scientifique de l'éducation nationale a publié dès 2001 un rapport sur l'usage des agents conversationnels en classe qui encourage la mobilisation de tels outils. Si le ministère de l'Education nationale n'en a pas (encore) formellement interdit l'usage, il rappelle dans cette réponse à une question du sénateur Hugues SAURY au mois de juin 2023 que "l'éducation des élèves doit également tenir compte du RGPD, qui ne permet pas un usage en classe d'applications comme ChatGPT, en raison de la nécessité de créer un compte personnel et de la connexion à une application hébergée hors Union européenne (U.E.) dont la politique de confidentialité indique que les données peuvent être partagées avec des fournisseurs tiers."
Néanmoins, des stratégies commencent à être déployées par les enseignants pour contourner cet interdit :
Avec la création de comptes par l'enseignant qui sont ensuite mis à disposition des élèves ;
Avec l'apparition d'outils tels que Quickcast.lol qui permet de garantir un accès à ChatGPT sans compte, ni login, en classe ou en formation.
Dans tous les cas, l'actualisation de la charte informatique de l'établissement sera probablement nécessaire.
Comment l'intelligence artificielle générative a-t-elle été intégrée dans le parcours de formation des élèves ?
Contrairement à d'autres pays, la France n'a pour le moment pas intégré l'émergence de l'intelligence artificielle dans ses programmes scolaires. Cela ne signifie pas cependant qu'il n'est pas possible d'évoquer ponctuellement ces questions qui s'intègrent parfaitement dans la formation intellectuelle et civique de nos élèves, notamment en lien avec la technologie (en collège), les sciences numériques et technologie (en lycée) ou l'éducation aux médias et à l'information (à tous les niveaux).
La réalisation d'un document de synthèse permettant de recenser et d'organiser ces enseignements sera probablement nécessaire afin de définir les apports de chacun, d'éviter les répétitions et proposer un parcours cohérent. Dans ce domaine comme dans d'autres (éducation aux médias et à l'information, éducation à la citoyenneté, parcours culturel, etc.), la règle veut que quand tout le monde est responsable, personne ne l'est vraiment...
A mon sens, ce parcours de formation peut être constitué des axes suivants, plus ou moins approfondis en fonction des choix et compétences disponibles au sein des équipes :
Une approche scientifique et technologique : qu'est-ce que l'intelligence artificielle ? (histoire, définitions et principes de fonctionnement)
Une approche pratique : comment utiliser les outils d'intelligence artificielle générative ? (exemples d'usages scolaires et formation à l'art du prompt)
Une approche éthique : comment utiliser les outils d'intelligence artificielle générative de manière intelligente et responsable ? (en étant conscient de ses limites)
Comment adapter nos enseignements face à la diffusion des intelligences artificielles génératives ?
Il est abusif de considérer que les systèmes scolaires sont menacés de disparition à l'ère de ChatGPT et des intelligences artificielles génératives. Néanmoins, nous devons reconnaître que certaines activités d'enseignement ne seront plus jamais les mêmes.
Dans le cadre de ce site, j'ai par exemple montré que le travail donné en dehors de la classe, les travaux d'écriture, ou encore les évaluations sont amenés à évoluer profondément dans les prochaines années, voire les prochains mois.
Concrètement, ce ne sont pas tant les connaissances que les compétences qui sont impactées par ce nouvel état de fait. A mon sens, chaque enseignant devrait relire ses séquences et séances dans les prochaines semaines à la lumière d'une seule question relativement simple : mes séquences et séances proposent-elles des activités qui sont désormais devenues obsolètes ?
Si tel est le cas, cela ne signifie pas forcément que vous devez tout jeter à la poubelle. Ces activités continuent certainement à développer les compétences de vos élèves. Néanmoins, elles devront probablement être adaptées au fil du temps au contexte culturel et technologique qui est désormais le nôtre. Nos élèves auront par exemple toujours besoin d'apprendre à argumenter, mais l'appréhension de cet exercice va forcément évoluer dans un monde où un outil est désormais capable d'écrire gratuitement et facilement des dissertations qui sont au moins aussi satisfaisantes que la plupart des productions d'élèves de lycée.
Quelles sont les nouvelles compétences que nous souhaitons enseigner à nos élèves ?
Chaque nouvelle disruption technologique s'accompagne irrémédiablement de ses Cassandre réactionnaires et de ses Dionysos exaltés. Les premiers considéreront qu'on n'apprend plus rien aux enfants et que c'était décidément bien mieux avant ; les seconds auront plutôt tendance à considérer que les élèves d'aujourd'hui ne maîtrisent certes pas aussi parfaitement les règles d'accord du participe passé que leurs prédécesseurs mais qu'ils ont développé des compétences qui étaient inimaginables pour un écolier du siècle dernier.
L'écriture pouvant désormais être assistée par l'intelligence artificielle générative, il est peut-être désormais nécessaire d'insister davantage sur la recherche documentaire, l'esprit critique, le débat, la résolution de problème, la collaboration, etc. Bref, les compétences dites du XXIe siècle !
Ressources complémentaires
Cette liste n'est évidemment pas exhaustive. Matt Miller propose par exemple une autre liste (en anglais) des dix discussions autour de l'IA que les écoles devraient avoir selon lui à la rentrée de septembre 2023. Quoiqu'il en soit, cette évolution nécessite des discussions, des décisions et des formations non seulement à l'échelle ministérielle, mais aussi au sein des académies et des établissements.
Simon Duguay, enseignant au Québec, a également proposé la traduction en français d'une intéressante infographie proposée par le site "AI for Education" pour accompagner les établissements dans l'élaboration d'une politique d'utilisation des intelligences artificielles génératives à l'école.