Potentiels pédagogiques de l'intelligence artificielle

Depuis la réalisation de cette interview, d'autres pistes sont apparues et laissent penser que des outils tels que ChatGPT vont profondément transformer l'enseignement. Des applications intégrant l'intelligence artificielle générative apparaissent en effet chaque jour et proposent des solutions intéressantes pour accompagner les professeurs dans leurs missions.

Un apprentissage davantage personnalisé ? 

C'est clairement l'usage le plus évident et le plus anticipé depuis plusieurs années. On parle d'ailleurs à ce propos d'apprentissage adaptatif (adaptative learning) qui analyse les données collectées et stockées de l'apprenant pour adapter en temps réel son parcours d'apprentissage. Si ce dernier se trompe dans la réponse à une question, une remédiation lui est immédiatement proposée et une activité mobilisant des connaissances et compétences similaires lui sera proposée plus tard. En somme, il s'agit de décupler et d'automatiser les capacités d'analyse d'un enseignant en mobilisant à la fois le potentiel des nouvelles technologies, mais aussi les enseignements des sciences de l'éducation (notamment la zone proximale de développement) et des neurosciences (afin d'optimiser par exemple le processus de mémorisation).

Potentiel de transformation en l'éducation

On peut tout à fait imaginer que les élèves apprennent désormais en autonomie certains blocs de connaissances et de compétences grâce à des modules alimentés par une intelligence artificielle. Lorsqu'ils atteignent les objectifs fixés, ils sont invités à rejoindre le groupe-classe pour se confronter à des tâches complexes mobilisant leur créativité, leur esprit critique, etc.

Une telle transformation nécessitera néanmoins de transformer profondément l'organisation des établissements scolaires afin de repenser :

1. L'emploi du temps : est-il encore nécessaire d'avoir tous les élèves en même temps à l'école ou bien considère-t-on que certains seront en classe à certains moments quand d'autres seront en phase d'apprentissage en autonomie ?

2. La légitimité du "groupe-classe" : sera-t-il encore nécessaire d'avancer de manière uniforme dans toutes les disciplines ou pourra-t-on imaginer un élève avancer de manière différenciée en mathématiques et en histoire ?

3. L'évaluation : une telle souplesse dans l'organisation des apprentissages n'a-t-elle pas pour conséquence logique l'organisation d'évaluations certificatives à la demande lorsque l'élève arrive au terme d'un parcours d'apprentissage ?

4. Le rôle des enseignants : la transmission des connaissances étant presque exclusivement laissée à un parcours automatisé, leur mission serait dès lors recentrée sur la proposition de situations d'apprentissage complexes et l'apprentissage des compétences du XXIe siècle. 

5. etc. 

Les limites

L'apprentissage adaptatif étant finalement assez ancien, c'est aussi celui sur lequel nous avons le plus de recul, nous permettant ainsi de relativiser son potentiel souvent fantasmé. Les applications proposant une telle démarche, notamment dans le cadre de l'apprentissage d'une langue, ont généralement beaucoup investi dans le domaine technologique au détriment d'un investissement qui devrait être au moins aussi conséquent dans le domaine pédagogique. Pour que ces solutions fonctionnent, il faut en effet mobiliser des ressources adéquates, proposer des remédiations adaptées, imaginer les ramifications de parcours vraiment personnalisés, etc. Or, c'est rarement le cas pour le moment et l'expérience s'avère finalement souvent décevante car le contenu reste assez pauvre et répétitif. 

Un assistant / tuteur pour chaque élève ? 

Suivre un parcours plus ou moins formaté afin d'atteindre des objectifs d'apprentissage est une chose, pouvoir bénéficier d'un accompagnement personnalisé offrant régulièrement des feedbacks sur les apprentissages en est une autre. Si l'on nous laisse parfois croire que la taille des classes n'aurait que peu d'effet sur l'amélioration des performances scolaires des élèves, le développement exponentiel des officines de soutien scolaire laisse tout de même penser que beaucoup de parents ne sont pas convaincus par cet argument.

Or, le développement de l'intelligence artificielle pourrait peut-être permettre à chacun de bénéficier dans quelques années d'un tuteur personnalisé proposant des conseils, des encouragements, des rétroactions et des corrections en temps réel.

Potentiel de transformation en l'éducation

Des sociétés américaines telles que Cognii ou encore Khan Academy travaillent activement avec OpenAI pour développer de telles solutions. Le tuteur Khanmigo est d'ailleurs d'ores et déjà proposé par Khan Academy et il a été configuré non pas pour donner des réponses, mais bien accompagner les élèves en tirant profit de l'intelligence artificielle afin de soutenir les apprentissages : 

Les limites

Aussi impressionnants soient-ils, ces outils n'ont rien d'intelligent. Ils sont très utiles pour corriger de simples exercices de mathématiques ou de grammaire, mais cela se complique lorsqu'il s'agit d'analyser une démonstration argumentée ou une production plus complexe. J'ai par exemple passé des heures à demander à ChatGPT de proposer des retours constructifs sur les dissertations de mes élèves, en vain. Quel que soit le prompt, cet outil ne semble pas (encore) en mesure de distinguer la qualité d'une copie et se contente souvent de conseils très généraux et peu adaptés à la proposition initiale de l'élève.

Favoriser l'inclusion des élèves à besoins particuliers ? 

Elèves allophones, élèves à haut potentiel, élèves dyslexiques, dyspraxiques, etc. Les enseignants sont confrontés depuis quelques années aux défis de l'école inclusive. Des solutions technologiques sont d'ores et déjà proposées depuis quelques années avec par exemples des manuels qui proposent désormais la synthèse vocale ou encore l'adaptation de la police d'écriture. ChatGPT peut néanmoins nous permettre d'aller plus loin en proposant des activités adaptées aux profils de nos élèves.

J'ai par exemple demandé à ChatGPT de m'aider à adapter une fiche d'activité proposée par La Classe de M@llory pour un élève dyslexique. Voici sa réponse :

Dans un premier temps, la réponse est très générale et rappelle des conseils qui ne sont certes pas inutiles mais que la plupart des enseignants maîtrisent déjà. Il faut continuer à l'interroger pour que ChatGPT accepte finalement de proposer une version adaptée de la fiche d'activité : 

Potentiel de transformation en l'éducation

Le gain de temps pour l'enseignant est évident. La production proposée par ChatGPT est rarement parfaite mais elle constitue une base sur laquelle l'enseignant peut travailler afin d'adapter sa fiche aux besoins spécifiques de ses élèves. Idéalement, on peut imaginer qu'une application permette prochainement d'adapter toute une série d'exercices de manière un peu moins artisanale que l'expérimentation menée ci-dessus. 

Les limites

Une telle utilisation pose néanmoins une question pédagogique importante : en proposant systématiquement une fiche d'exercice adaptée aux besoins de chaque élève, ne risque-t-on pas de cantonner ces derniers dans la case qui leur a été attribuée, limitant ainsi leur capacité à dépasser leurs difficultés et à continuer à progresser ? 

Conclusion

Dans chacun des exemples ci-dessus, nous sommes rapidement arrivés à la conclusion que l'intelligence artificielle présente un potentiel intéressant pour favoriser l'engagement et la réussite de nos élèves en développant la différenciation, voire l'accompagnement personnalisé. Néanmoins, cette évolution risque aussi de privilégier un prisme technologique au détriment d'une dimension pédagogique. 

Malgré la fascination que nous pouvons observer chez certains pour l'automatisation et le big data, il convient de garder à l'esprit que l'apprentissage demeure un processus résolument humain qui nécessite de trouver un équilibre subtil entre la puissance de l'outil numérique et l'expertise irremplaçable de l'humain-éducateur.