Qu'est-ce que la pédagogie participative et sociale ?

“The mediocre teacher tells. The good teacher explains. The superior teacher demonstrates. The great teacher inspires”

William Arthur Ward

L’enseignement n’est pas seulement l’art de transmettre des connaissances. C’est aussi et surtout un métier qui requiert des compétences particulières dans la communication, l’organisation des savoirs, l’évaluation, l’éveil de la curiosité, la gestion de groupe, etc.

Comme tout métier, il nécessite une constante adaptation au contexte dans lequel il s’exerce en fonction du public, du lieu, mais aussi des prescriptions normatives. Dans l’Education Nationale, cela signifie entre autres respecter des programmes dont l’évolution récente a largement remis en cause la pratique de l’enseignement au quotidien, notamment dans la gestion du temps.

Ce n’est certes pas la première fois que la communauté enseignante s’élève contre des programmes jugés trop lourds », mais il est en revanche plutôt inédit de voir régulièrement l’autorité prescriptive reconnaître la légitimité d’une telle critique jusqu’à accepter d’alléger les programmes. Si ces aménagements sont accueillis avec soulagement par les enseignants, ils n’ont pas totalement résolu la question posée par ce que Philippe MEIRIEU a appelé la « pédagogie des préalables ». De l’école primaire jusqu’à l’université, l’architecture des programmes repose en effet sur une vision édificatrice de l’apprentissage qui consiste d’abord à poser les bases (le socle) avant de commencer à donner du sens et développer l’esprit critique. En histoire-géographie, cela se traduit concrètement par des renvois récurrents aux programmes précédents pour justifier des horaires limités. Ainsi, les élèves sont théoriquement représentés comme des millefeuilles dont la saveur historienne ne se révèlerait qu’à partir du moment où ils auraient accumulé suffisamment de couches factuelles et notionnelles.

Cette représentation est non seulement dévalorisante pour nos collègues censés délivrer des savoirs préalables à l’accès de la culture, mais elle risque également de laisser de nombreux élèves au bord de la route, faute de trouver un sens immédiat à ces centaines de dates et définitions apprises par cœur pendant des années. D’autant plus que la pyramide consciencieusement érigée pendant toutes ces années finie par s’écrouler brutalement lorsque la sentence tombe au lycée : faute de temps, les bases sont rarement consolidées et la plupart des élèves peinent à rencontrer l’apothéose théorique de l’historien contemplant l’horizon du haut de son œuvre.

A ce contexte professionnel s’ajoute un contexte technique, commercial et social remettant également en question la pratique de l’enseignement. Quel désarroi chez le professeur de voir fleurir sur le bureau de ses élèves à chaque printemps les fameux annabacs et autres manuels de synthèse qui font la richesse des éditeurs et le pic d’activité des agences de soutien scolaire ! Faut-il pour autant en vouloir à nos élèves et à leurs parents inquiets, qui ont bien compris qu’avec l’avènement de l’Internet, le savoir est bien souvent plus accessible dans les rayons des libraires et sur les supports de la toile plutôt que dans les cahiers écornés et incomplets de leurs enfants ?

De la même façon que la révolution de l’imprimerie s’est diffusée à mesure que les premiers ouvrages commençaient à se diffuser et à se démocratiser, la révolution de l’Internet a aussi mis plusieurs années afin d’être en mesure d’offrir des ressources sérieuses, accessibles, suffisantes. Or, la multiplication des blogs d’enseignement, la stratégie numérique des agences de soutien scolaire et la publication en ligne des cours du Centre national d’enseignement à distance (CNED) viennent désormais se confronter directement à l’enseignement tel qu’il s’est pratiqué depuis plusieurs siècles.

Il suffit pour s’en convaincre d’observer l’évolution récente des cahiers qui étaient hier précieusement couverts et archivés au fur et à mesure de la scolarité, alors qu’il est parfois difficile aujourd’hui de demander à un élève de retrouver la leçon réalisée quelques mois plus tôt. Au-delà des remarques nostalgiques, il est possible d’y voir une modification profonde du rapport au savoir et à son accès.

Face à cette évolution et aux difficultés rencontrées dans la mise en œuvre des nouveaux programmes, de nombreux collègues ont retroussé leurs manches et décidé de se saisir des nouveaux outils utilisés par leurs élèves afin de modifier et adapter leurs pratiques d’enseignement avant que d’autres acteurs ne bénéficiant pas de leur expertise professionnelle ne leur imposent de nouvelles règles répondant davantage à des considérations économique que pédagogiques.

Cet article propose modestement quelques pistes de réflexion et quelques exemples concrets d’activités permettant d’interroger l’enseignement à l’ère de la révolution numérique.

France HENRI et Anthony KAYE, Le savoir à domicile (Presses de l’université du Québec, 1985)

Classe inversée, MOOC, flipped class, blinded learning… Depuis quelques mois, les expressions se succèdent pour désigner ce que d’aucuns considèrent comme une révolution pédagogique. Un bref historique de ces méthodes permet cependant d’en relativiser le caractère novateur. Ce n’est en effet pas tant la pédagogie que les outils qui ont évolué. La véritable révolution des pratiques reste quant à elle encore largement à inventer dans les salles de classe.

En 1985, France Henri et Anthony Kaye envisageaient déjà le recours à l’audiovisuel et la télématique dans leur réflexion sur Le savoir à domicile (Presses de l’université du Québec). Ce à quoi ils n’oubliaient pas cependant d’associer d’emblée une réflexion sur les enjeux politiques et organisationnels des formes modernes de l’enseignement.

Trente ans plus tard, on ne parle plus de télématique mais la nécessité d’une réflexion pédagogique de fond est d’autant plus urgente que les nouvelles technologies de l’information et de la communication s’améliorent à une vitesse tellement insolente et qu’elles n’hésitent désormais plus à venir frapper avec insistance à la porte des salles de classe.

Les prémices des MOOCs

Ce sont avant tout les amphithéâtres des universités qui ont fait l’objet des assauts les plus aboutis que l’on regroupe désormais sous l’acronyme de MOOC (Massive Open Online Course).

Bien que l’on puisse désormais écrire une archéologie des MOOCs à partir d’expériences individuelles, la première expérience officielle dans ce domaine a été lancée en 2008 par deux enseignants qui sont parvenus à rassembler 1900 étudiants pendant 12 semaines autour d’un cours organisé/bricolé à partir de différents outils gratuits (un wiki, un blog, un forum Moodle, un agrégateur, un compte Twitter et une platefome de diffusion vidéo en streaming).

Aujourd’hui, l’expérience est devenue un véritable phénomène mondial et toutes les universités essaient désormais de s’inscrire dans cette vague aux principes assez simples. Le gouvernement français a d’ailleurs réagit non seulement en proposant une plateforme visant à rassembler les initiatives des universités françaises, mais aussi en proposant une traduction officielle publiée au Journal officiel mais que personne n’utilise vraiment : les cours en ligne ouvert à tous.

Le MOOC dans l’enseignement secondaire : une simple classe inversée ?

Bien qu’initialement pensée pour l’enseignement supérieur, de nombreux professeurs du primaire et du secondaire se sont emparés de cette nouveauté pour l’adapter au contexte de leurs classes. Comme pour les MOOCs, les anglo-saxons ont été les premiers à imaginer le principe des « flipped-classes » que l’on a rapidement traduit par l’expression de « classes inversées ».

Le spécialiste francophone de la question s’appelle Marcel LEBRUN et c’est encore lui qui en parle le mieux :

Cependant, comme l’explique Marcel LEBRUN dans cette courte présentation, il est caricatural de considérer qu’il suffit simplement d’inverser le temps d’enseignement (temps de transmission des connaissances) et le temps d’apprentissage (temps des exercices pratiques).

Tout enseignant ayant essayé de mettre en œuvre cette pratique pédagogique s’est rapidement rendu compte qu’il n’était pas question de tout inverser pour systématiquement externaliser l’enseignement hors de l’espace-classe. C’est pourquoi l’expression de « blended learning » (« apprentissage mixte ») s’est finalement imposée.

Pour une pédagogie participative et sociale (PEPS)

Avant de réfléchir à la mise en œuvre d’une telle méthode d’enseignement, il convient de réfléchir à son utilité : quelle valeur ajoutée peut-elle apporter aux élèves ? Peut-on envisager de meilleures conditions d’apprentissage ? Voire améliorer la réussite scolaire ?

C’est pourquoi il me semble plus intéressant d’utiliser l’expression de « pédagogie participative et sociale » qui a le mérite d’insister davantage sur l’intérêt pédagogique induit par la méthode plutôt que sur la méthode en elle-même :

Une pédagogie qui donne du sens aux élèves

L’un des principaux intérêts de la PEPS est de consacrer davantage de temps à la réalisation d’exercices visant à résoudre des problèmes, réaliser des tâches complexes et/ou à exercer son esprit critique.

Les connaissances ne sont en effet plus transmises dans une seule logique accumulative et encyclopédique, mais dans la perspective de libérer ensuite du temps pour débattre, répondre à une problématique ou bien rédiger une synthèse.

Une pédagogie au service des élèves en difficulté

Dans une logique de transmission frontale/magistrale des connaissances, il est rare de pouvoir déceler les élèves qui décrochent car ils n’osent pas toujours poser de questions et parce que la programmation impose un certain rythme théorique d’avancement. Bien qu’il s’agisse actuellement de la pédagogie la plus utilisée dans l’enseignement en France, de nombreux pédagogues tels que Bruno HOURST ont montré qu’elle n’était pas nécessairement la plus efficace et qu’elle est loin de correspondre à tous les élèves.

Or, dans le cadre de la PEPS, plusieurs moments permettent à l’enseignant de venir en aide aux élèves en difficultés, soit collectivement, soit individuellement :

  • tout d’abord, l’élève dispose d’un support de cours (manuel, vidéo, polycopié, etc.) qu’il peut assimiler à son rythme et en plusieurs fois s’il en a besoin,

  • ensuite, le professeur peut être soit à ses côtés, soit répondre à ses questions via un forum pendant la phase d’enseignement,

  • enfin, pendant la phase d’apprentissage, le professeur peut encore une fois répondre aux questions des élèves, voire les inviter à reprendre certains points précis s’il constate que des difficultés sont rencontrées dans la réalisation de l’activité.

La multiplicité de ces moments privilégiés avec le professeur constituent une urgence dans notre système scolaire où de nombreuses études ont permis de montrer que nos élèves préfèrent souvent ne pas participer en classe plutôt que de se tromper.

Une pédagogie qui permet de diversifier les pratiques

Le temps dégagé par la diminution du temps de transmission des connaissances permet d’envisager la multiplication des pratiques pédagogiques que l’on abandonne souvent faute de temps dans la programmation : exposés, travaux en équipes, concours, jeux sérieux… sont autant de possibilités permises pas la pratique régulière de la PEPS.

Une pédagogie qui permet de développer les compétences numériques des élèves

Que ce soit à la maison ou en classe, la pratique de la PEPS laisse une place importante à l’usage de l’outil informatique, répondant ainsi davantage aux nouvelles exigences dans ce domaine. Non seulement les élèves sont invités à utiliser un environnement numérique, mais ils sont également invités à initiés à la production de contenus, au partage des informations, à la communication en réseau avec le reste de la classe et à la responsabilisation sur la toile.

Une pédagogie qui invite à réellement penser la place du travail à la maison

Contrairement à ce que laisse entendre certains articles sur la classe inversée, il n’est pas question d’externaliser l’ensemble de la phase d’enseignement à la maison. Il serait d’ailleurs illusoire de considérer que les difficultés rencontrées actuellement avec le travail à la maison seraient immédiatement résolues avec cette méthode. En revanche, la PEPS implique de réfléchir davantage au statut du travail à la maison à la lueur des dernières études dans ce domaine. Il apparaît en effet qu’actuellement, cette phase de l’apprentissage consiste essentiellement en une relecture des cours, l’apprentissage par cœur et la réalisation d’exercices d’application dont la rentabilité est statistiquement contestable.

Dans le cadre de la PEPS, le temps de travail à la maison n’est pas envisagé comme une relecture ou l’apprentissage par cœur d’un cours, mais bien comme une activité d’appropriation qui peut se présenter sous différentes formes :

  • prise de notes sur une vidéo,

  • repérage d’informations par l’intermédiaire d’un questionnaire,

  • écriture d’une synthèse.

En somme, le professeur propose des activités permettant d’aider ses élèves à apprendre dans la perspective ensuite de réserver le temps en classe à la réalisation d’exercices pouvant éventuellement mettre les élèves en difficulté et nécessiter son soutien et ses conseils.

Derrière ces principes généraux, il existe une multitude d’activités et de mises en oeuvre envisageables dans le cadre de la PEPS. Ce blog a pour ambition d’en présenter quelques exemples.