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Faut-il modifier les programmes scolaires à l'ère de ChatGPT ?
24 juillet 2023
À Hong Kong, les collégiens vont apprendre à maîtriser l'intelligence artificielle dès la rentrée scolaire de septembre 2023. Selon cet article de France Info, le Bureau de l'éducation l'introduction d'un nouveau cours d'une durée de 14 heures destiné aux élèves de 12 à 15 ans afin de leur permettre de comprendre les bases de ce nouvel outil, ses avantages mais aussi ses limites.
Si de nombreux gouvernements à travers le monde témoignent d'un intérêt grandissant pour ce sujet, rares sont ceux à avoir décidé une adaptation aussi rapide de leurs curricula et programmes à l'exception de la Chine et de l'Inde.
En France, pour l'instant, ni le ministère, ni le Conseil supérieur des programmes, ne s'est prononcé sur le sujet. Une déclaration générale visant à "renforcer les compétences numériques des élèves et développer l'usage des outils numériques pour la réussite des élèves" qui mentionnait explicitement la question des algorithmes et de l'intelligence artificielle a été réalisée en janvier 2023. Aucune mesure concrète n'a cependant été annoncée depuis cette date. Il est pourtant fort probable que de nombreux collègues de technologie en collège et de sciences numériques et technologie (SNT) en lycée adaptent leurs cours dès la prochaine rentrée pour intégrer ces thématiques dans l'attente de nouvelles instructions officielles.
Il faut reconnaître que, contrairement à ce que pourrait laisser penser la mesure prise les autorités de Hong Kong, la question ne se limite pas à la simple introduction d'un cours ou d'un module sur les intelligences artificielles génératives et les grands modèles de langage. L'apparition d'outils tels que ChatGPT posent des questions profondes sur ce qu'il convient désormais d'apprendre, aussi bien en termes de connaissances et de compétences, nécessitant probablement une réflexion de plusieurs années et une adaptation progressive de nos systèmes éducatifs.
Image générée avec Adobe
Les suicides se succèdent, mais les mesures restent tièdes
Dans un article d'Ysé RIEFFEL publié dans Le Monde le 14 mars 2023, la journaliste rappelle qu'après le suicide de Lucas, 13 ans, victime de harcèlement à l’école en raison de son homosexualité selon ses parents, des organisations LGBT+ demandent toujours à l’éducation nationale de renforcer les interventions auprès des élèves et la formation des enseignants sur ce sujet.
Pour rappel, en février 2023, plus de 50 organisations LGBT + ont signé une lettre ouverte adressée au ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse Pap Ndiaye pour lui demander des actions concrètes. Or, selon ces mêmes organisations, la réponse du gouvernement n'est pas à la hauteur et les annonces faites (une campagne de sensibilisation pour le 17 mai et la généralisation des observatoires des LGBTIphobies dans toutes les académies) "sont des redites" de mesures déjà prévues dans le plan national d’actions pour l’égalité, contre la haine et les discriminations anti-LGBT+ de 2020-2023 qui n'ont pas été appliquées dans les faits.
Cette fois-ci, les associations demandent un plan de formation ambitieux. Selon Gabrielle RICHARD, sociologue et chercheuse, spécialiste des questions de genre, « la formation est la pièce du puzzle sans laquelle on ne peut pas constituer la grande image. [...] Les adultes craignent de s’emparer de ces questions pour plusieurs raisons, allant de la légitimité à la peur de faire un faux pas, à la crainte de réaction parentale ». Dans son scénario idéal, des formations obligatoires et initiales devraient être proposées dans les programmes des Instituts nationaux supérieurs du professorat et de l’éducation (Inspé).
Les travaux de Gabrielle RICHARD sont excellents et je conseille régulièrement sa synthèse publiée en 2019 aux éditions du remue-ménage.
Par contre, je pense qu'il conviendrait de discuter la proposition de Lucile JOMAT, présidente de SOS Homophobie, en fin d'article : "Pour Lucile Jomat, il ne faut pas attendre les interventions d’associations pour aborder les sujets liés aux personnes LGBT+. Il faut en parler régulièrement, en cours d’éducation civique et morale, pendant les cours d’éducation de la sexualité, en biologie. « Ça peut être en histoire aussi, quand on parle d’une personnalité, ne pas hésiter à préciser ouvertement si elle était gay, lesbienne, ou une personne trans. »".
Malgré tout le respect que j'ai pour cette collègue et le travail indispensable mené par SOS Homophobie depuis des années, je pense que les professeurs d'histoire ne sauraient trop se garder de tels raccourcis. Les termes "gays", "lesbienne", "trans" sont des catégories contemporaines qui ne s'appliquent que très difficilement à d'autres contextes géographiques et historiques. Oscar Wilde se serait-il lui-même défini comme "gay" ? Les Grecs antiques étaient-ils gays ou pédérastes ?
Ressources pour aller plus loin
Nouvelle enquête sur le temps de travail des enseignants
Lecture de la note d'information d'Élise Dion et Pascaline Feuillet, "La moitié des enseignants déclarent travailler au moins 43 heures par semaine", Note d'Information, n° 22.30, DEPP.
"Alors, encore en vacances ! " : tout le monde connaît cette formule maléfique qui a le pouvoir étrange de transformer le plus patient des pédagogues en un monstre capable d'étrangler de sang froid son tonton lors d'un repas de famille. Il est d'ailleurs à noter que le même phénomène s'observe avec d'autres formulations a priori bienveillantes du genre : "C'est bientôt les vacances, tu vas pouvoir te reposer" ou encore "Vous en avez bien besoin ; les jeunes sont tellement difficiles de nos jours".
Ces formules toutes faites ont le mérite d'agacer, voire de rendre fou de rage à force de répétition, car :
Elles sont insultantes envers les élèves alors même que la plupart des études menées sur le climat scolaire ou bien sur les démissions des enseignants montrent que les élèves sont rarement en cause. Au contraire, il s'agit souvent du principal élément qui justifie l'engagement et l'abnégation de ces milliers de professionnels ;
Elles sont insultantes envers les enseignants car elles témoignent d'une méconnaissance flagrante de leur métier et des conditions de travail réelles des professionnels auxquels nous confions nos enfants. Alors même que chacun sait pertinemment que donner une heure de cours nécessite beaucoup de travail en amont (recherche, construction de séance, etc.) et en aval (correction de copies, entretiens, etc.), ainsi que de nombreuses tâches administratives et éducatives annexes (concertations, compléter les bulletins, etc.), tout le monde fait comme si le seul temps de travail devant être comptabilisé est celui passé devant les élèves. A titre de comparaison, cela reviendrait à dire qu'un présentateur de journal télévisé travaille quelques minutes par jour ou bien qu'un footballeur travaille en moyenne 90 minutes par semaine.
D'où l'importance de cette publication de la direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP) qui est d'autant plus précieuse qu'elle est rare. L'une des dernières études dans ce domaine datait en effet de 2013 et portait sur des données de 2010.
Quelles sont les principaux enseignements de cette étude ?
La moitié des enseignants déclare travailler plus de 43 heures par semaine.
Les enseignants déclarent par conséquent travailler davantage que les autres cadres A de la fonction publique d'Etat (40 heures par semaine) alors qu'ils sont moins payés que ces autres cadres.
Sur les 118 jours de vacances scolaires, les enseignants déclarent travailler au moins 34 jours. Cela signifie qu'ils conservent malgré tout 12 semaines de congés.
Tous les enseignants n'ont pas un temps de travail identique :
Les enseignants du premier degré déclarent travailler davantage (43h) que leurs collègues du second degré (42h) ;
Les enseignants en lycée polyvalent et général ont en moyenne un temps de travail hebdomadaire plus élevé que les autres. En outre, ils travaillent plus de jours pendant les vacances scolaires avec une médiane à 36 jours en LEGT et 34 jours en lycée polyvalent contre 33 jours en collège et 31 jours en lycée professionnel.
Les professeurs documentalistes et les professeurs d'EPS ont en moyenne un temps de travail hebdomadaire plus faible que les autres enseignants (entre 3h et 6h de moins). De plus, ils travaillent en moyenne 4 à 6 jours de moins par an que les autres enseignants.
La répartition de ce temps de travail n'est pas le même selon les enseignants :
Par exemple, les enseignants du premier degré consacrent 59% de leur temps de travail devant les élèves contre 49% pour leurs collègues du second degré;
De même, les professeurs agrégés déclarent moins d'heures d'enseignement que les certifiés;
Les professeurs de lycée général et technologique consacrent un nombre d'heures de préparation ou de correction plus élevé que ceux de collège et de lycée professionnel.
Le temps de travail des enseignants du secondaire semble avoir largement augmenté durant la dernière décennie (40h en 2010 contre 42h dans cette nouvelle enquête) alors même que leur salaire a été gelé durant cette même décennie. Concrètement, cela signifie que les enseignants travaillaient plus pour gagner moins puisque leur salaire n'était plus indexé sur l'inflation et qu'ils perdaient donc de l'argent chaque mois.
Quelques réflexions à la lecture de ces données
Il conviendrait de faire évoluer de toute urgence la dénomination "vacances scolaires" au profit par exemple de l'expression "vacances des élèves", ce qui permettrait progressivement de faire comprendre que cela ne signifie pas forcément une absence de travail des enseignants (ni d'ailleurs de tous les élèves car certains d'entre eux partent parfois avec une charge de travail non négligeable).
Pour rappel, la durée légale de travail en France est de 35 heures par semaine ! Lors de l'adoption de la loi Aubry en France en 1998, le législateur avait déjà ignoré les enseignants, ne faisant ni baisser leur temps de travail, ni augmenté leur salaire. Deux décennies plus tard, la situation s'est gravement détériorée tant au niveau du temps de travail que du salaire, et tout le monde tente de regarder ailleurs pour éviter de se confronter à cette situation que peu d'autres professions, ni employeurs, ne pourraient tolérer.
Le télétravail est une méthode de travail à domicile qui a été mise en place en 2017 et qui s'est généralisée avec la crise sanitaire liée au COVID. Dans de nombreuses entreprises, ainsi que dans de nombreux services de la fonction publique, cela s'est traduit par la mise en place de différents documents qui doivent notamment fixer les conditions de prise en charge des coûts découlant du télétravail : matériels, logiciels, abonnements, communications, maintenance… Par ailleurs, des primes de télétravail sont versées aux salariés. Dans l'Education nationale, ces questions ont été largement ignorées, à l'exception de la mise en place d'une prime annuelle d'équipement qui ne couvre absolument pas la totalité des frais engendrés par ce qui relève de fait d'une forme de télétravail. De précédents gouvernements considérant qu'un enseignant qui n'est pas en établissement est un enseignant qui ne travaille pas vraiment, avaient tenté d'initier des réformes obligeant les professeurs à rester davantage dans les locaux des écoles. Ils ont tous reculé en commençant à calculer le coût qu'une telle réforme engendrerait si l'Etat devait désormais fournir directement des locaux et du matériel de travail à l'ensemble des enseignants. Il conviendrait peut-être de prendre une décision une fois pour toute : soit le travail en établissement pour tous les enseignants est possible (avec des bureaux, du matériel, etc.), soit il ne l'est pas et nous considérons alors que les enseignants sont en télétravail avec un traitement similaire aux autres salariés.
Enfin, il n'est pas anodin de constater que cette nouvelle étude est publiée l'année où le gouvernement propose de conditionner l'augmentation salariale des enseignants à l'acceptation de nouvelles missions. La DEPP, direction du ministère de l'Education nationale, ne se permet évidemment pas d'analyse politique mais ses conclusions posent question : comment est-il possible de proposer de conditionner une augmentation salariale à de nouvelles missions quand les agents sont déjà très largement au-dessus de la durée légale de travail ?
Renouer le dialogue
Comme chaque année, le mois de septembre commence par la lecture du rapport de la médiatrice de l'Education nationale et de l'enseignement supérieur, Catherine Becchetti-Bizot.
Ce document synthétique est non seulement le reflet du travail quotidien des médiatrices et médiateurs académiques (près de 18 000 saisines traitées en 2021), mais il constitue aussi un excellent baromètre de la situation de l'école faisant face à de nouvelles revendications, tensions, ou tout simplement à l'évolution de la société française se traduisant par de nécessaires adaptations du système éducatif.
Après un pic de réclamations portant sur les examens et concours en 2020, le rapport mentionne une progression de 106% en 5 ans des saisines en lien avec la vie quotidienne dans les établissements, témoignant d'un retour parfois compliqué dans les établissements après plusieurs périodes de confinement ces dernières années.
Il est intéressant de constater que 78% des saisines sont réalisées par les usagers (et notamment dans le second degré) tandis que 22% proviennent des personnels de l'Education nationale et de l'enseignement supérieur. Parmi ces derniers, la part des enseignants stagiaires est en hausse de 24%, reflétant certaines difficultés médiatisées depuis quelques semaines sur l'entrée dans le métier.
12% des saisines concernent la notation et l'évaluation, soit une multiplication par 5 depuis cinq ans. Il s'agit notamment d'une conséquence de la réforme du lycée et de la mise en place du contrôle continu qui a profondément modifié les relations entre enseignants, élèves et familles.
Cette année, la médiatrice a identifié trois thèmes principaux autour desquels elle souhaite plus particulièrement attirer l'attention :
Les difficultés associées à la dématérialisation de la procédure d'inscription aux examens. Plusieurs candidats et élèves rencontrent en effet des difficultés dans les démarches administratives en ligne et témoignent souvent d'absence de réponse de l'administration quand ils sollicitent de l'aide ou un rendez-vous physique.
Les blocages autour des mutations des enseignants. Le rapport de la médiatrice rappelle que cette question est liée à celle de l'attractivité des métiers de l'éducation. Si la question des salaires est régulièrement évoquée dans les médias depuis quelques mois, les conditions de travail de jeunes collègues séparés de leurs familles et amenés à effectuer plusieurs heures de transports par jour constituent des situations de moins en moins acceptables. Ceci est d'autant plus vrai pour des contractuels ayant parfois travaillé pendant plusieurs années dans une ville pour être finalement mutés dans d'autres académies après l'obtention du concours. De manière générale, la médiatrice recommande une meilleure prise en compte et valorisation des parcours d'enseignants rejoignant l'Education nationale après une reconversion professionnelle.
Les faiblesses dans l'accueil des jeunes en situation de handicap. A la rentrée 2021, 400 000 élèves en situation de handicap étaient scolarisés en milieu ordinaire, soit une augmentation de 19% en cinq an. Or, malgré une augmentation de 35% du nombre d'accompagnants sur la même période, ces derniers restent en nombre insuffisant pour répondre aux besoins. Outre ces questions de moyens, la médiatrice recense un nombre important de saisines qui témoignent d'un manque d'information et de coordination entre les équipes éducatives, les familles et les personnels médicaux, mais aussi de certaines incohérences entre les adaptations obtenues au quotidien et les conditions appliquées lors des examens.
Hors des écoles, point de réforme !
A propos de Sabrina MOISAN et Frédéric SAUSSEZ, "Pressions et expressions de la norme dans les pratiques d'enseignement de l'histoire au secondaire", in Recherches en Education, numéro 35, 2019.
Dans cet article, Sabrina Moisan et Frédéric SAUSSEZ rappellent que les enseignants ne sont pas "des exécutants passifs ou des dupes culturels, mais des acteurs sociaux réflexifs [qui] s'engagent dans un travail de construction de sens".
Cette étude québécoise et ses conclusions ont des conséquences dans de nombreux domaines :
Dans la formation professionnelle : les auteurs rapportent en effet le témoignage d'une collègue qui se dit frustrée à l'issue de formation : "On se sentait tout le temps incompétent. Puis, on essayait des choses qu'on avait appris à la formation, puis ça ne marchait pas. C'était bien trop universitaire. [...] Aujourd'hui, on jette ce qu'on pense qui ne marche pas, puis on fait à notre tête".
Dans l'édition scolaire : plusieurs collègues rapportent qu'ils n'utilisent "pratiquement jamais [le manuel]" qui ne semble pas répondre aux besoins concrets des enseignants au quotidien. C'est pourquoi ces derniers reconstruisent eux-mêmes leurs "cahiers-maison" à partir d'éléments tirés de la version numérique des différents manuels disponibles gratuitement en ligne, mais aussi de ressources mutualisées sur différents sites par certains enseignants.
Dans la mise en œuvre de politiques éducatives : l'analyse des pratiques d'un panel d'enseignants montre que "la pensée historienne est (...) délaissée par les enseignants dans le cadre de la séquence d'enseignement, mais revient lors de l'évaluation". C'est-à-dire que les enseignants ont réinterprété et aménagé les normes curriculaires introduites par la réforme dans les années 2000 car elles ne semblaient pas répondre à leurs pratiques de terrain et à leur culture disciplinaire propre.
En somme, cette étude montre, s'il en était besoin, qu'il est vain d'espérer imposer une réforme exogène qui ferait fi de l'expérience, de la professionnalité et de la culture disciplinaire des enseignants. Au contraire, comme l'a montré récemment cette étude de Roland GOIGOUX, Juliette RENAUD et Isabelle ROUX-BARON (2021), le meilleur moyen d'accompagner une politique éducative consiste à encourager la co-construction et la co-conception d'outils, de dispositifs d'enseignements et de formations par les prescripteurs, les chercheurs, les formateurs et les enseignants.