Les newsletters en situation de formation : objet, méthode et débats
De la newsletter à la lettre d’in“formation” : de quoi parle-t-on ?
L’utilisation du terme newsletter peut sembler surprenante dans le contexte de la formation professionnelle tant il reste associé au domaine du marketing. Cet outil s’est néanmoins démocratisé depuis quelques années et il est désormais utilisé dans de nombreux domaines. Ainsi, la plupart des sites web se sont dotés de newsletters sans objectif commercial mais simplement avec l’intention d’entretenir une communauté de lecteurs qui ont volontairement souscrit à ce dispositif afin de recevoir régulièrement les dernières actualités autour de leurs centres d’intérêts. Des institutions et organisations telles que le Centre pour l’éducation aux médias et à l’information (CLEMI), Canopé, ou encore le Muséum national d'Histoire naturelle proposent notamment aux enseignants de s’abonner à des newsletters. De même, le réseau social professionnel LinkedIn offre à ses membres la possibilité de créer des newsletters sur des thématiques spécifiques. Ce dispositif est par exemple utilisé par le site d’information “EdTechActu” qui relaie chaque semaine une synthèse des derniers articles publiés sur les innovations technologiques pour le monde de l’éducation.
Tous ces exemples répondent à la définition élémentaire d’une newsletter, à savoir une lettre d’information électronique envoyée de manière périodique à un ensemble de personnes qui se sont inscrites à une liste de diffusion. En ce sens, cet outil contribue à l’autoformation des enseignants car il s’inscrit dans le cadre d’une veille documentaire professionnelle mentionnée notamment dans les documents d’accompagnement du référentiel de compétences des métiers du professorat et de l’éducation. Néanmoins, il ne peut pas être considéré comme un véritable outil de développement professionnel au sens où il alimenterait “un processus par lequel l’enseignant et ses collègues revoient et renouvellent ensemble leur mission comme agents de changement, acquièrent et développent les connaissances, les habiletés et les savoirs essentiels pour un bon exercice professionnel” (DAY, 1999). Pour ce faire, il faudrait que la newsletter ne soit pas uniquement unilatérale mais qu’elle propose des activités interactives permettant au formateur d’adapter le contenu de sa formation en fonction des retours d’information des enseignants. Par conséquent, la liste de diffusion devrait être relativement limitée afin de contribuer à la création d’une communauté apprenante. Il convient par ailleurs de préciser que ces newsletters ne sauraient non plus se substituer à d’autres dispositifs de formation. Au contraire, cette modalité devrait être articulée avec d’autres modules d’un dispositif de formation.
En somme, contrairement à la plupart des lettres d’information mobilisées dans le domaine du marketing, les newsletters en situation de formation ne sont pas considérées uniquement comme des outils d’information mais plutôt comme des instruments d’ “in-formation” au sens où elles contribuent à favoriser l’implication des stagiaires et qu’elles s’inscrivent dans une logique de développement professionnel à plus long terme.
Les atouts des newsletters dans la formation des enseignants
Les newsletters présentent différents avantages qui peuvent permettre d’améliorer l’expérience de formation pour les stagiaires, mais aussi l’efficacité du dispositif proposé. Ces outils sont en effet appréciés pour leur souplesse, aussi bien dans la gestion du temps contraint de la formation professionnelle que dans la gestion de l’organisation matérielle et didactique des modules mis en œuvre.
Tout d’abord, l’un des premiers apports des newsletters repose donc sur la souplesse proposée par ce dispositif en termes de gestion du temps de formation au regard notamment du temps de travail. L’un des derniers rapports de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) consacré à la formation des enseignants montre en effet que la France est l’un des pays où les enseignants participent le moins à des activités de formation continue (83% contre 94% en moyenne dans les pays de l’OCDE) alors même que les enseignants français font partie de ceux qui déclarent établir un lien entre leur participation à des formations professionnelles efficaces et un sentiment accru d’efficacité personnelle.
Pourcentage d'enseignants du premier cycle du secondaire ayant participé à des activités de développement professionnel (à partir de la base de données TALIS 2018)
Cette situation s’explique essentiellement par des contraintes liées au temps. Selon les résultats de l’enquête TALIS 2018, dans la liste des obstacles à la participation aux activités de développement professionnel, les enseignants français mentionnent à 45,5% des incompatibilités avec l’emploi du temps professionnel (en progression de 2,9 points entre 2013 et 2018) et à 44,8% un manque de temps à cause de responsabilités familiales. Ces données sont d’ailleurs confirmées par les études de la direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP) du ministère de l’Education nationale français dont la note d’information d’octobre 2022 confirme que “la moitié des enseignants déclare travailler au moins 43 heures par semaine”.
Dans cette situation contraignante en termes de disponibilité de temps de formation, les newsletters peuvent constituer un outil intéressant car elles reposent sur le principe du micro-apprentissage définit comme une approche fondée sur la distribution régulière de courtes unités d’apprentissage et d’activités ciblées à court terme. Cette méthode a été démocratisée par le développement des MOOCS depuis le début des années 2010, mais aussi par de nombreuses entreprises car elle est particulièrement adaptée aux logiques d’apprentissage tout au long de la vie et de développement professionnel sous la forme de micro-qualifications.
Si la mise en œuvre du micro-apprentissage dans la formation professionnelle des enseignants est encore relativement nouvelle, a fortiori en France, deux études récentes ont souligné les intérêts de cette approche pour favoriser la motivation et l’engagement des enseignants dans des dispositifs de formation hybride. Le modèle développé par Stavros A. Nikou a notamment permis de montrer que le micro-apprentissage facilite les trois types d’interaction entre l'apprenant et le formateur identifiés par Michael G. Moore :
L’interaction entre l’apprenant et le contenu car le micro-apprentissage invite à sélectionner du contenu précis en évitant la surcharge d’information, ainsi qu’à proposer des tâches d’auto-évaluation ciblées.
L’interaction entre l’apprenant et le formateur car le micro-apprentissage comprend généralement des évaluations formatives automatisées ou bien des sondages qui alimentent une rétroaction régulière de la part du formateur.
L’interaction entre les apprenants car le micro-apprentissage encourage la mise en place d’activités de création régulières en temps limité et favorise la mutualisation entre les pairs de ressources simples et rapidement adaptables.
Outre leur capacité à s’adapter aux contraintes d’emploi du temps inhérentes aux métiers de l’enseignement, les newsletters présentent également des atouts organisationnels et didactiques intéressants dans le cadre de la formation professionnelle des enseignants. D’autres outils ont en effet été initiés par le ministère de l’Education nationale afin d’encourager des dispositifs de formation à distance ou de formation hybride. C’est notamment le cas de la plateforme M@gistère déployée depuis 2013, non sans un certain nombre de critiques qui ont été recensées par Guillaume LION, alors délégué académique au numérique (DAN) dans la revue Administration & Education (numéro 152, 2016). Parmi elles figurent plusieurs éléments techniques. Bien que M@gistère s’appuie sur Moodle, une plateforme d’apprentissage en ligne largement utilisée dans le monde, et notamment dans l’enseignement supérieur en France, son déploiement auprès des enseignants du primaire et du secondaire n’a pas toujours été simple en raison de difficultés d’accès. Ces contraintes d’identification ont été considérées par certains “comme un moyen technique de surveiller les enseignants en formation” venant alimenter par ailleurs la croyance d’une formation à distance “à l’économie” et devant être réalisée sur le temps “libre” des personnels. De manière plus générale, le déploiement de M@gistère n’a pas échappé aux critiques habituelles liées à l’utilisation d’outils numériques en contexte de formation. Les travaux d’Anne Cordier, Anne Lehmans et Camille Capelle montrent en effet que, malgré un usage largement partagé dans les sphères de vie personnelle, le numérique reste un objet d’appréhension à l’école comme en formation.
Or, le format des newsletters peut apporter quelques réponses techniques et stratégiques à ces défis.
D’une part, en termes d’organisation, elles ne nécessitent aucune connexion de la part des stagiaires qui reçoivent automatiquement ces ressources sur leur mail académique à partir du moment où ils sont inscrits à un dispositif de formation qui mobilise ce genre de ressources. Cela ne signifie d’ailleurs pas pour autant que le formateur renonce aux outils de suivi d’une plateforme de formation telle que M@gistère. Les réponses aux activités proposées au sein de la newsletter permettent en effet au formateur de continuer à recueillir des données lui permettant d’animer sa formation, voire de relancer et de motiver les participants au besoin.
D’autre part, le format des newsletters induit inéluctablement une réflexion en termes d’ingénierie de formation. Les newsletters ne sont en effet pas une simple compilation d’informations, mais une mise en récit cohérente de plusieurs éléments (apports théoriques, exemples de pratiques, espaces de mutualisation, activités de validation, etc.). Elles sont souvent introduites par quelques lignes qui présentent les contours de la thématique abordée, avant d’organiser de manière logique et structurée différentes ressources autour d’un ou plusieurs parcours. L’introduction joue dès lors un rôle d’accroche essentielle présentant une problématique professionnelle représentative des préoccupations des enseignants. En somme, elle permet de renvoyer aux pratiques réelles des stagiaires afin de susciter une forme d’identification susceptible de soutenir l’implication. Bien que cette étape soit extrêmement guidée par le formateur et non pas co-construite par les stagiaires, il est possible de considérer qu’il s’agit d’une forme de lecture du réel prônée par le centre Alain-Savary dans son livret consacré la conception des formations.
De manière générale, ces stratégies s’inscrivent dans le champ plus large du storytelling appliqué dans le domaine de la formation. Cette stratégie de communication fondée sur des structures narratives visant à faciliter la transmission et la compréhension d’un message est en effet particulièrement utile pour accompagner les dispositifs de formation. Les travaux de Will Storr (2019) ou bien de Chip et Dan Heath (2010) ont entre autres expliqué pourquoi cette stratégie est aussi efficace dans différents secteurs, mais des recherches se sont plus particulièrement intéressées à son efficacité dans les domaines de l’enseignement et de la formation professionnelle des enseignants. Du point de vue des sciences expérimentales, et plus particulièrement des neurosciences, la mise en récit permet d’activer trois hormones qui facilitent le processus d’apprentissage :
l’ocytocine qui favorise la générosité, la confiance et l’empathie, c’est-à-dire des éléments essentiels pour favoriser l’engagement et la motivation des apprenants ;
la dopamine qui favorise la concentration, la mémoire et la motivation ;
et enfin l’endorphine qui favorise la détente et la créativité.
En somme, la recherche en sciences expérimentales montre que la mise en récit favorise l’apprentissage car elle provoque une réaction biologique qui augmente notre concentration, notre implication et notre confiance. Ces éléments sont par ailleurs confirmés du point de vue des sciences humaines et sociales par des philosophes tels que Jérôme Bruner et Paul Ricoeur, mais aussi des pédagogues tels que Jean Piaget et Philippe Meirieu, qui ont montré que la mise en récit est une pratique intéressante car elle joue sur plusieurs facteurs qui favorisent l’apprentissage :
La concrétisation, puisque les récits permettent de donner du sens à ce qui peut paraître lointain et abstrait ;
L’assimilation qui s’inscrit dans la logique de la théorie de l’apprentissage de Piaget car l’utilisation de la structure narrative constitue un moyen efficace pour approfondir les connaissances, ou bien pour les étudier sous une autre perspective ;
La structuration qui permet aux apprenants de mieux réinvestir les concepts dans d’autres contextes.
Par conséquent, les newsletters, par leur souplesse d’utilisation et leur logique de construction, présentent de multiples atouts susceptibles de soutenir l’efficacité d’un dispositif de formation et l’implication des stagiaires.
Les newsletters : un levier pour accompagner la transition vers une logique de développement professionnel individuel et collectif des enseignants
L’apport des newsletters ne se limite pas cependant à l’amélioration de dispositifs de formation existant. Il est également possible de considérer que leur développement s’explique par l’intérêt que ces outils présentent en réponse aux nouvelles attentes professionnelles des enseignants.
Parmi elles figure la question de la persévérance et de la motivation des enseignants dans des dispositifs de formation à distance qui se généralisent depuis plusieurs années. Cette question a été particulièrement travaillée en France par Clément Dussarps. Dans sa thèse de doctorat consacrée à la dimension socio-affective et à l’abandon en formation ouverte et à distance, ce dernier précise qu’il est possible d’ajouter de l’immersion à distance pour permettre aux stagiaires de se sentir présents. Il mentionne notamment la scénarisation du contenu qui a déjà été évoquée précédemment, mais aussi le fait de proposer aux collègues des tâches (même modestes) à effectuer avec régularité plutôt qu’une série de documents que les stagiaires sont censés consulter à plus ou moins long terme pour compléter le contenu d’un module de formation. Or, la question de la régularité est au cœur de la création des newsletters qui sont pensées pour être envoyées dans un calendrier défini au préalable.
L’un des autres défis de la formation des enseignants porte sur les formes de travail collectif. Dans une note d’information publiée en 2014, la direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP) insistait à partir des résultats de l’enquête internationale TALIS 2013 sur le fait que “le métier d’enseignant en France s’exerce essentiellement de manière individuelle. [...] Ainsi, plus des trois quarts des enseignants en France (78 %) disent ne jamais observer le travail de leurs collègues en classe, contre 45 % en moyenne TALIS”. Malgré de multiples initiatives visant à favoriser le développement de communautés apprenantes en éducation, force est de constater que l’observation du travail d’autres collègues, le co-enseignement ou encore la participation en groupe à une action de formation professionnelle sont encore peu répandus en France. Encore une fois, grâce à leur régularité dans le temps, mais aussi leur mise en œuvre en association avec d’autres modules de formation, les newsletters peuvent contribuer à accompagner la constitution d’un collectif autour d’une liste de diffusion susceptible de se poursuivre sur plusieurs mois.
Enfin, les newsletters pourraient apporter des éléments intéressants en réponse à la question de la transférabilité des connaissances et compétences acquises en formation dans les pratiques quotidiennes de la classe. Aussi engagés soient-ils lors d’une formation, beaucoup d’enseignants rencontrent en effet des difficultés à mettre en œuvre les outils et stratégies travaillées lors des sessions de formation par manque d’accompagnement individualisé au moment de la mise en application auprès de leurs élèves. Travaillant sur cette question dans le cadre d’une recherche à l’Université d’Etat de Monterey Bay en Californie, Alyssa B. Trinity et Caitlyn D. Gonzalez ont constaté que parmi les solutions proposées visant à améliorer l’engagement sur le long terme des participants à un programme de formation, la création d’une newsletter proposant de mutualiser les pratiques est celle qui a recueilli le plus d’enthousiasme, avec celle d’organiser de nouvelles sessions de formation en présentiel, même par ceux qui ont montré un engagement plutôt mesuré lors du dispositif de formation.