Transformer vos activités pédagogiques à l'ère de ChatGPT
On peut certes essayer d'anticiper les potentielles évolutions à moyen et à long terme de l'éducation face à la diffusion d'un outil tel que ChatGPT, mais on peut aussi plus modestement rendre compte de nos bricolages et adaptations en réponse à un outil que certains de nos élèves apprennent très vite à utiliser. Récit d'expérience inspiré par des lycéens formidables.
Dans le cadre du chapitre d'histoire en classe de Seconde consacré au modèle britannique et son influence à l'époque moderne, je propose à mes élèves des activités d'approfondissement visant à vérifier leur compréhension du cours et leur capacité à mobiliser des connaissances pour répondre à une tâche complexe.
Parmi les fiches d'activité figure la proposition ci-contre invitant les élèves à écrire ce qui pourrait être le discours d'adieu de George Washington.
Vous pouvez cliquer sur l'image pour accéder à la version en ligne au grand format.
Une activité hackée par mes élèves
Voici la production proposée par un groupe d'élèves qui a accepté de partager avec moi la procédure mise en place pour arriver à ce résultat :
Dès le départ, les élèves choisissent de travailler en anglais alors qu'il ne s'agissait pas d'un élément de la consigne. Ils considèrent que cela est plus crédible puisqu'il s'agit de réaliser le discours d'un ancien président étatsunien ;
Ils décident alors d'interroger ChatGP directement en anglais en utilisant un prompt élaboré à partir des indications figurant sur la fiche d'activité ;
Après validation et adaptation de la proposition de ChatGPT, ils utilisent une application de synthèse vocale pour transformer le texte en voix ;
Ils mobilisent ensuite une autre application pour faire directement parler un portrait de George Washington à partir de leur fichier "voix" ;
Ils passent enfin le tout dans l'application TikTok pour avoir des sous-titres.
Quelques pistes de réflexion
Ma première réaction aurait pu être simple et catégorique : "Vous n'avez pas respecté la consigne. Votre production n'est donc pas acceptée !"
Sauf que :
Ma fiche d'activité ne précisait pas explicitement qu'il était interdit d'utiliser ChatGPT ;
La production répond quasiment à tous les critères de réussite, à la seule exception qu'il ne s'agit pas d'une "prestation orale" de leur part mais d'un texte mis en voix par un logiciel.
Je pourrais mettre à jour cette fiche d'activité pour l'année prochaine en précisant simplement que l'usage de ChatGPT est interdit. Ce sera d'ailleurs le cas dans d'autres situations menées en classe. Mais dans ce cas précis, je me suis interrogé sur ce que les élèves ont fait :
Ils ont traduit ma consigne en anglais. Au passage, ils ont peut-être appris de nouveaux mots de vocabulaire ;
Ils ont rédigé un prompt à partir des différents éléments de ma consigne. Cela signifie donc qu'ils ont été en mesure d'analyser cette consigne, de la comprendre et de la reformuler de manière suffisamment intelligible pour que ChatGPT leur propose en réponse une production satisfaisante ;
Ils ont analysé la réponse de ChatGPT, toujours en anglais, pour vérifier qu'elle soit cohérente, mais aussi qu'elle mobilise des connaissances précises issues du cours et du dossier documentaire du manuel. Ils ont probablement opéré quelques adaptations nécessaires.
Ils ont utilisé des outils numériques pour proposer une production qui témoigne d'une forme de créativité.
Je suis peut-être un éternel optimiste mais je considère que plusieurs capacités et méthodes mentionnées dans les programmes scolaires ont été mobilisées dans cette activité :
S'approprier un questionnement historique (programme de Seconde) ;
Confronter le savoir acquis en histoire avec ce qui est lu (programme de Seconde) ;
Identifier et évaluer les ressources pertinentes en histoire (programme de Seconde) ;
Utiliser le numérique pour réaliser des présentations (programme de Seconde).
Par ailleurs, je considère que ces élèves ont démontré une maîtrise intéressante de ce qu'il convient désormais d'appeler les compétences du XXIe siècle encouragées par de nombreuses institutions internationales, à savoir l'esprit critique, la résolution de problème, la créativité, la communication et la collaboration.
En somme, même si cela ne correspond pas totalement à ce que j'avais imaginé au départ, je dois reconnaître que ce qui est proposé par mes élèves ne se limite pas à ce que d'aucuns considéreraient comme de la "triche". Il s'agit d'une production intéressante et qui témoigne d'apprentissages en adéquation avec les instructions officielles.
Si j'avais une seule critique à faire, c'est que la vidéo finale ne mentionne pas ses sources, ni pour l'image, ni pour la base du texte sur laquelle les élèves ont travaillé. Pour le moment, les élèves ont beaucoup de mal à se départir d'un sentiment de culpabilité lorsqu'ils utilisent ChatGPT. J'aimerais pouvoir leur faire comprendre qu'il n'y a aucun problème à le faire à partir du moment où cela n'est pas explicitement interdit et qu'ils ou elles citent leurs sources avec rigueur.
Quelques pistes d'adaptation
Tous les élèves ne sont pas en mesure de hacker les activités avec autant de talent et d'intelligence. C'est pourquoi j'envisage néanmoins quelques adaptations concernant ces activités dès l'année prochaine :
Tout d'abord, il me semble intéressant de proposer l'usage de ChatGPT comme un levier de différenciation dans les activités proposées aux élèves. Les élèves volontaires pourront ainsi mobiliser s'ils le souhaitent cet outil.
Il conviendra cependant d'adapter les critères de réussite en fonction de la mobilisation, ou non, de ce levier de différenciation. Sans ChatGPT, mon principal critère de réussite consiste à valider la mobilisation de connaissances précises pour créer un discours cohérent. Avec ChatGPT, mes attentes en termes de contenu et d'argumentation seront plus exigeantes. Je pense par ailleurs conserver l'idée intéressante de travailler en anglais.
Il me semble également intéressant d'adapter la production finale. Dans le cas où les élèves utiliseraient ChatGPT, je privilégierai une prestation orale des élèves plutôt qu'un podcast, avec un entretien final permettant de s'assurer que les élèves maîtrisent le contenu produit avec l'assistance de ChatGPT et qu'ils ne se sont pas contentés de réciter par cœur un texte sans vraiment en comprendre le sens.
Conclusion
Pour conclure, ChatGPT peut donc constituer un outil intéressant pour transformer nos activités pédagogiques et proposer des alternatives en fonction des compétences que nous souhaitons travailler avec eux.
Cet exemple me semble démontrer qu'il serait réducteur de considérer cet outil uniquement sous l'angle d'un levier facilitant la réalisation d'une tâche. En adaptant en effet quelque peu la consigne et les critères de réussite, l'exercice devient finalement beaucoup plus exigeant et permet à certains élèves de développer des compétences qui n'étaient pas forcément prévues dans l'activité de départ.